Chaque journée passée à le contempler,
il reste émerveillé par cette beauté.
Pour lui, celle-ci est irremplaçable et figée à tout jamais.
Il n’a jamais cessé de rêver son tableau comme le reflet de son être. Il n’a jamais pensé qu’il serait un grand peintre, comme tous les grands artistes de renommés avant lui, mais simplement un homme d’inspiration !
Sa peinture, c’est sa vie. Elle est tout ce qui le fait être et avoir. Il a délicatement retranscris dans son tableau ces innombrables rencontre et ces multiples découvertes avec lesquelles il est revenu de ces voyages.
De retour sur le continent, il s’est fait la promesse de peindre ce tableau. Celui qui fait de lui cet homme !
Il y voit toutes les beautés terrestres que ses yeux émerveillés lui ont retranscrites. C’est devenu pour lui un chef d’œuvre d’une toute autre espèce, un mélange de vanille des îles, de saveurs sucrées et salées, de légèreté et de douceur.
Ce tableau, il l’a voulu à son image, exposé au musée parmi les plus grands. Il l’a maintes et maintes fois repeint de ses rêves, revisité, déplacé, remodelé, ne laissant aucune place à l’imprévisible. Il connaît parfaitement les couleurs, chacune des odeurs, les formes, les matières. C’est une évidence, rien de plus, rien de moins ! C’est pour lui, un hommage à ce qu’il est et est devenu : un art’iste !
Alors impensable, voir même inimaginable de croire qu’un jour le destin lui ferait regarder ce tableau d’une toute autre manière, mis en lumière au fond de sa galerie.
Chaque journée passée est un interminable rituel. Il le contemple encore et toujours avant d’éteindre les projecteurs. Il se dit qu’il n’a jamais rendu une chose aussi resplendissante. Il se dit qu’il peut être fier de lui, car il en est le maître !
Seulement, il suffit d’un millième de seconde pour que la vie réduise en miettes l’objet sacré et tant idéalisé ! Désœuvré, désemparé, la peine du peintre fut inconsolable. Un choc d’une violence extrême le mettant à ko tel un match de boxe sur un ring.
Il regarde alors son œuvre comme une dépouille réduite à l’état poussière. Lui qui a passé tant d’heures à le confectionner avec tant de perfection, de détails, de précisions. Réaliser et mettre en forme sa vie d’artiste lui a demandé tant d’énergie, de disponibilité, et d’efforts constants.
Chaque détail de son œuvre reflète un instant de son existence, un moment de douceur et de bonheur, un temps à l’inspiration, à la création.
C’est alors que devant l’irréparable et l’incompréhension la plus totale, la petite flamme s’est rallumée, une lueur dans les ténèbres. Et par un désir animé et déterminé, il décida d’entreprendre une nouvelle œuvre.
Un nouveau regard !
Un nouveau départ !
Alors tel un chevalier au combat, il reprit son pinceau, et partit en chemin.
Il lui fallu travailler sans relâche, des jours et des nuits, croire en lui et en son tableau. Les pièces du puzzle déplacées, revisitées, et colorées donnant un nouveau sens à la lecture de son tableau.
Au premier coup d’œil le visiteur ne voit guère de différence en apparence. Rien ne semble avoir changé. L’amateur affirme que les couleurs et les formes sont bien choisies, qu’il existe une harmonie parfaite et que ce qui dégage de ce tableau est agréable. Que le cadre est beau, bien délimité, aucune faute de goût. Presque la perfection !
Seulement sans un œil expert, le regard se trouve limité et l’interprétation bien peu significative. L’artiste avisé le sait trop bien. Ce tableau aux couleurs douces et chaudes, habillé de tons légers et purs, réveille tous les sens de chacun des visiteurs qui le découvre, la vue, l’odorat, le toucher, l’ouïe, le goût.
Il n’est plus seulement un tableau devenu le reflet du peintre…
Il est ce que l’on veut bien y voir et y entendre, ce qu’on veut bien être et avoir. De près ou de loin, les détails évoluent. La lumière projetée sur cette œuvre ne renvoie jamais la même chose. Son tableau est devenu une merveille qu'il ne cesse d’exposer sans fin au monde.
Plonger son regard dans ce tableau offre à tous spectateurs le plaisir de retrouver sérénité et apaisement.
M-K (Mars 2017)